AMSJI : Les implants sous périostés
Le concept réactualisé pour la réhabilitation orale des cas d’atrophies osseuses sévères

Rédacteur

ROMAIN CASTRO
Spécialiste qualifié en chirurgie orale.
Exercice privé, Clinique Juge, Marseille.
Praticien hospitalier, Centre Hospitalier Edmond Garcin,
Fondateur ACOSE.
Co-Directeur scientifique, DU de chirurgie osseuse pré-implantaire, Université de Nice.
118 rue Jean Mermoz13008 Marseille
Introduction
AMSJI « additively manufactured sub periosteal jaw implants » est un concept innovant d’implants sous périostés répondant au challenge clinique de la réhabilitation de l’atrophie osseuse sévère des mâchoires. Le concept de ces implants correspond à une structure ostéosynthésée épousant le relief osseux du maxillaire ou de la mandibule du patient(e). L’implant n’est donc pas positionné en intra-osseux mais vient s’ajuster sur le contour osseux de la mâchoire atrophiée. L’ancrage devient alors possible quand le volume osseux est résorbé et insuffisant pour des techniques implantaires conventionnels. Les premiers implants sous périostés en alliage chromecobalt- molybdène sont apparus il y a 80 ans [1]. La mauvaise réputation de ce système était tributaire de ces alliages de métaux qui n’avaient aucune capacité d’ostéointégation et d’adhérence muco-gingivale. La seule rétention de ce système par quelques vis d’ostéosynthèse entraînée rapidement sa désunion et l’échec du traitement face aux contraintes occlusales et aux risques d’infection. Les progrès dans le domaine du digitale, des matériaux et de la médecine personnalisée sur-mesure ont permis au professeur M. Mommaert et au laboratoire CADskills® de publier la première note technique d’implants sous périostés titane utilisant la technologie CAD/CAM. En 2017, les auteurs ont baptisé ce dispositif « AMSJI » [1]. L’AMSJI est conçu en titane, imprimé en 3D à partir des données tomographiques du patient. Sa structure s’apparente à un « exosquelette » et une prothèse totale est transvissé sur ce dispositif. En un seul temps opératoire, l’AMSJI permet au patient(e) souffrant de résorption osseuse extrême d’être traité par une réhabilitation oral complète fixe transvissée (Figure 1).

L’AMSJI est un dispositif implantaire sur-mesure personnalisé s’adaptant au contour osseux de la mâchoire résorbée. Ce dispositif est fixé par des vis d’ostéosynthèse à l’instar de celles utilisées en chirurgie traumatique maxillo-faciale ou en chirurgie orthognatique. La structure est en titane (grade 23) imprimée en 3D grâce à des techniques d’impression au laser sélectif à partir des données tomographiques du patient [2].
Le design du dispositif répond à plusieurs critères précis mais l’AMSJI présente une structure commune : des ailes, une selle, des bras et les piliers (Figure 2). Ces derniers sont d’ailleurs des répliques de piliers Multi Unit Abutment (MUA) dans lesquels la prothèse est transvissé .

Afin de faciliter sa mise en place au bloc opératoire, le dispositif sous périosté est livré en 2 ou 3 éléments (Figure 3).

La surface externe de l’AMSJI sur laquelle les tissus mucogingivaux reposent est parfaitement lisse. Cette caractéristique est importante pour limiter l’irritation des tissus mous. Au niveau des piliers, cet état de surface permet une adhésion d’un épithélium jonctionnel long et évite au maximum l’adhésion de la plaque bactérienne au niveau des émergences de piliers [1] (Figure 4).

La surface interne du dispositif, le versant osseux, est constitué d’un mailllage rugueux. Cette caractéristique favorise la mouillabilité et l’ostéointégration secondaire de l’AMSJI sur l’os. La colonisation de ce maillage par les vaisseaux sanguins aboutit, par ostéoconduction, à l’apposition de l’os dans l’intrados de l’implant et permet son ostéointégration. Cette ostéointégration est la différence majeure avec les dispositifs de l’époque en chrome cobalt qui n’avaient pas cette faculté et qui leur a valus une si mauvaise réputation [3].
L’ostéointégration secondaire est la caractéristique fondamentale qui permet la pérennité de ce système d’implant. La stabilité du dispositif ne repose plus uniquement sur les vis d’ostéosynthèse au niveau des ailes de l’’AMSJI mais c’est l’ensemble de l’implant qui s’intègre et se stabilise sur la mâchoire du patient(e) [4] (Figure 5).

Le design final de l’AMSJI est le résultat d’une analyse de toute l’équipe regroupant, ingénieur biomédical, chirurgiendentiste référent et chirurgien. Le design doit répondre à des critères anatomiques, prothétiques et biomécaniques.
Les critères anatomiques
L‘AMSJI est désignée en respectant les éléments anatomiques nobles. A la mandibule, le canal mandibulaire et le foramen mentonnier sont respectés afin de préserver le nerf alvéolaire inférieur. Le design respecte également les zones d’insertion des muscles mylo-hyoïdiens pour ne pas occasionner d’inconfort au niveau du plancher buccal à l’usage. Au maxillaire, le design respecte le foramen infra orbitaire et protège le nerf du même nom. Les sites d’ostéosynthèse sont définis en amont en identifiant les zones osseuses hypercorticalisées. La longueur des vis d’ostéosynthèse est également choisie afin d’optimiser l’ancrage et la stabilité primaire du dispositif en profitant pleinement de l’épaisseur de la corticale osseuse. La planification des longueurs des vis évite également les risques de lésions nerveuses (Figure 5). Dans certaines situations, un ancrage bi-cortical peut être recherché afin d’augmenter la stabilité primaire (Figure 6).

Les critères prothétiques
Comme toute pose d’implant, le dispositif se doit d’être au service du projet prothétique et de la prothèse transvissée transitoire mise en place le jour de l’intervention au bloc opératoire. L’AMSJI doit nécessairement présenter des émergences de piliers prothétiques cohérentes avec le projet issu de la prothèse totale amovible du patient, confectionné et validé en amont sur le plan esthético-fonctionnel par le chirurgien-dentiste référent (Figure 7).

Un “matching” numérique est obtenu grâce aux scan de la prothèse amovible (Figure 8) ainsi qu’aux données tomographiques maxillo-mandibulaires du patient en occlusion d’intercuspidie maximale avec sa prothèse amovible en bouche [1].

La prothèse transitoire transvissée sur l’implant sous périosté reproduit donc la situation du projet amovible (Figures 9 et 10).

Le croisement des données tomographiques permet de concevoir le design implantaire, toujours guidé par le projet prothétique en OIM. A l’heure actuelle, les piliers prothétiques font partie intégrante de l’implant et sont imprimés avec le reste de L’AMSJI. Ces piliers MUA « soudés » au reste de la structure sont compatibles avec les systèmes implantaires Nobel et Straumann. Confectionner une prothèse sur un dispositif AMSJI respecte rigoureusement le même protocole que la confection d’une prothèse transvissée d’un all-on-4 ou all-on-6 sur piliers MUA positionnés sur implants axiaux conventionnels. La prothèse d’usage transvissée est généralement confectionnée 6 à 12 mois après la mise en place de la prothèse transitoire.
Les critères biomécaniques
Une fois le design final validé en fonction des obstacles anatomiques et de la cohérence prothétique, le dispositif est virtuellement remis à l’expertise de l’ingénieur biomédical. L’AMSJI va bénéficier d’une analyse informatique par éléments finis (Figure 11) pour tester numériquement sa résistance mécanique et identifier les éventuels foyers de fragilité [5].

Cette analyse digitale vise à soumettre le dispositif à l’équivalent de 15 ans de cycles occlusaux (uniquement en mouvement axiaux d’ouverture et de fermeture) à une force de 250 N. Sachant que la force occlusale chez un patient denté adulte est de 230 N en moyenne [3]. Ces cycles, soit 151 100 365 cycles masticatoires en partant sur une base de 1100 cycles / jour peuvent mettre en évidence des zones de fatigue et de stress mal tolérés par la structure en titane. De cette analyse, peut découler une modification du design. L’ingénieur peut modifier le positionnement des éléments et l’épaisseur d’impression du titane de certaines zones afin de renforcer la structure. L’analyse des éléments finis va plus loin puisqu’elle permet également d’analyser les contraintes transmises au tissu osseux par le dispositif implantaire (Figure 12). Un gradient de couleur met en évidence les zones de stress osseuses transmises par l’implant lors des contraintes occlusales. L’analyse permet d’identifier, suivant l’échelle colorée, plusieurs niveaux de stress osseux [5].

Soit des zones d’hyperstress, risquant de conduire à la résorption ou l’apposition exacerbée du tissu osseux. A l’inverse, des zones trop faiblement sollicitées engendrant une résorption osseuse excessive avec un risque accru de “bone stress shielding” ou phénomène bien connu des chirurgiens orthopédistes. En d’autres termes, L’AMSJI va absorber une part des contraintes occlusales et va limiter la transmission de celles-ci au tissu osseux. Si cette transmission de contraintes à l’os est insuffisante, la résorption est accélérée et le tissu osseux s’affaiblit. Cette résorption excessive liée à une mauvaise répartition des contraintes dans le tissu osseux doit être évitée pour ne pas engendrer une fragilité de la mâchoire et ne pas conduire à une désunion du dispositif implanté [4]. Dans certains cas, l’AMSJI peut se comporter comme un véritable « exosquelette » au niveau de la région anatomique sévèrement atrophiée. En épousant l’os, l’implant sous périosté joue le rôle d’une ossature artificielle externe qui va renforcer la mâchoire et limiter le risque de fracture (Figures 13 et 14).

Au bloc opératoire
La chirurgie dure entre 2 et 3h pour la pose du dispositif sous périosté et la mise en place de la prothèse transitoire. Lors du déballage stérile du matériel livré par le laboratoire, on retrouve le dispositif implantaire en 2 ou 3 éléments et la prothèse transitoire avec les vis de fixation (Figure 3). La procédure chirurgicale respecte les principales phases opératoires suivantes. L’incision crestale veille à contourner les émergences nerveuses qui peuvent être positionné au sommet de la crête quand l’atrophie est majeure s’il s’agit d’un cas mandibulaire. Lors du décollement muco-périosté, la dissection et l’isolement des émergences nerveuses est pratiquée. A la mandibule, le pédicule mentonnier est isolé et protégé. A ce stade on peut avoir recours à l’utilisation de lacs chirurgicaux (Figure 15).

Au maxillaire, seul un repérage sans dissection complète du pédicule infra orbitaire est recommandé (Figures 16 et 17). Ensuite, les différents éléments constituant l’AMSJI sont mis en place. Avant l’ostéosynthèse du dispositif, la prothèse transitoire est transvissée et un blocage maxillomandibulaire en occlusion est effectué. L’ostéosynthèse est pratiquée uniquement si l’occlusion est validée et conforme au projet prothétique. Une fois le dispositif fixé à l’os, le blocage est relâché pour le contrôle de l’occlusion par des mouvements axiaux. Les sutures muqueuses sont faites une fois la prothèse déposée. Elle est ensuite à nouveau transvissée avant le réveil du patient(e) qui sort du bloc opératoire avec une arcade complète.

Figure 16 et Figure 17 : ASMJI aumaxillaire avec la prothèse transitoiretransvissée. Le décollement repère lespédicules infra orbitaires sans les isoler. Sur la photo clinique, noter l’atrophieosseuse sévère. L’épine nasale antérieureet les orifices piriformes des fossesnasales sont bien visibles.

La satisfaction du patient
Une étude analyse 14 critères de satisfaction patient(e)s selon le score OHIP-14. Ce score qui reflète l’acceptation physique, psychologique et l’impact sur la qualité de vie est établi pour chaque patient(e) et le recueil de données concerne 40 patient(e)s traité(e)s par une solution AMSJI. L’étude révèle un fort taux de satisfaction et un impact positif sur la santé orale des patient(e)s [6].
Conclusion
L’AMSJI représente un concept ancien réactualisé et place les implants sous périostés titane sur-mesure au rang de solution thérapeutique innovante pour la gestion de cas complexes. L’atrophie osseuse sévère est un véritable challenge clinique pour les praticiens et parfois, les limites des thérapeutiques implantaires et de régénérations osseuses sont atteintes. L’implantologie basale et les implants zygomatiques font déjà partie de l’arsenal thérapeutique dans le traitement des résorptions osseuses extrêmes. La solution sous periosté est finalement une thérapeutique alternative qui s’appuie sur des technologies CAD/CAM modernes d’une grande précision. Elle permet la réhabilitation d’une situation complexe sans délai pour les patients et présente un caractère peu invasif en comparaison aux autres techniques. En 1 seul temps opératoire, l’AMSJI permet une réhabilitation orale fixe des patient(e)s en souffrance, et souvent en situation d’errance médicale, porteurs de prothèses amovibles mal adaptées depuis des années. Elle a toute sa place dans l’arsenal thérapeutique à connaître pour toujours tendre vers un meilleur service rendu à nos patient(e)s.
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